17/10/2012

14, de Jean Echenoz (Minuit, 2012)

Ceci n'est pas une guerre.

14 est aussi un roman d’amour et de vie. La fraternité, la compassion et la soif de liberté ne sont pas émoussés par l’atrocité.

Coup de coeur de Aline Sirba, notre  jeune critique littéraire, qui choisira régulièrement de belles pages, de belles plumes  
...spécialement  pour les lecteurs de Le vent se lève !
 

             Parfois, on regrette de lire les quatrièmes de couverture. C’est ce qui se passe avec 14, le nouveau roman de Jean Echenoz. Son titre suffit à lui seul à mettre le lecteur en position dubitative : un chiffre, qui ne dit a priori rien de l’histoire qu’on va lire. Cette histoire, elle débute par une chaude journée d’été, en Vendée, une promenade à bicyclette, et puis les trois coups de la pièce qui va se jouer retentissent sous la forme du tocsin qui sonne la mobilisation générale. Nous sommes en 1914, la guerre est déclarée ; Jean Echenoz choisit d’emblée le mode mineur, la simplicité et l’individuel pour raconter ce qui va suivre.

            Parmi les millions d’acteurs plus ou moins (d’ailleurs moins que plus) consentants qui vont jouer leur rôle dans la Grande guerre, l’auteur extrait cinq destins individuels, des hommes qui ont des prénoms, des noms, des métiers, des familles, et qui partent vers ce qui ne doit durer que quelques semaines, et qui durera quatre ans. L’attention se focalise plus particulièrement sur un jeune homme prénommé Anthime, comptable dans une petite entreprise familiale, et qui lui aussi va participer malgré lui à cette tragédie humaine.

Il s’agit de redonner une familiarité et une vie à ceux dont les noms ornent les monuments aux morts des villages de France. Pourtant, ce n’est pas avec de grands mots, de grandes phrases, de faits plus ou moins héroïques déjà lus, appris dans les manuels scolaires, que Jean Echenoz s’approche de la guerre ; ici, pas de date, juste une, « 14 », et encore, amputée de deux autres chiffres, (19)14, comme si l’on n’en connaissait pas la fin, à l’instar des personnages ; et c’est ce qui est singulier, car l’auteur écrit au présent, temps simple par excellence, temps de l’expérience immédiate, de l’histoire, non de l’Histoire.     
           

Jean Echenoz dépeint avec sobriété la vie dans les tranchées, et avec cette économie de moyens il mène le récit tambour battant. Il balaie délibérément d’un revers de plume les grandes dates, les grands événements, parce que tout ça « a été décrit mille fois » ; lui, ce qui l’intéresse, ce n’est pas « l’opéra », c’est la guerre à hauteur d’hommes, ce sont les figurants qui la composent et qui s’animent dans les détails : les uniformes trop grands ou trop petits, costumes qui sont distribués à des comédiens qui n’ont pas appris leur texte et qui vont devoir improviser sur la scène de ce drame à échelle tellement plus grande qu’eux, mis en musique par des orchestres officiels de pacotille qui tombent au front comme les autres ; les jours se ressemblent, nul besoin d’emphase pour comprendre les blessures, la peur, la saleté, les poux, la faim, la mort de près. L’instinct grégaire est plus exacerbé que jamais : on veut rester entre « copains », seuls repères parmi cette masse humaine et cette promiscuité imposée des tranchées et des « boyaux ». Pour autant, Echenoz n’épargne pas son lecteur : « Anthime a vu, cru voir encore des hommes en trouer d’autres juste devant ses yeux, tirant aussitôt après pour dégager leurs lames des chairs par effet de recul. » Voilà la déshumanisation, symbolisée aussi par les animaux qui, privés de bergers, de gardiens, de fermiers, reprennent leurs droits sur les humains, qui à leur tour deviennent des bêtes traquées par l’ennemi dont on ne sait jamais trop bien qui il est en réalité, ceux d’en face ou ceux qu’on ne voit jamais qu’à l’arrière, prêts à fusiller pour l’exemple les déserteurs en puissance.

 Et puis, la guerre, c’est aussi la vie qui continue à l’arrière, un nouveau siècle qui débute, les femmes qui prennent la place des hommes dans les usines, les plus jeunes qui font le travail de leurs aînés. On se met à produire en masse et l’époque de l’ « utile » commence, comme ces godillots qu’on fabrique à l’usage de ceux qui sont dans les tranchées.

Mais 14 est aussi un roman d’amour et de vie. La fraternité, la compassion et la soif de liberté ne sont pas émoussés par l’atrocité ; 14 raconte aussi le roman familial qu’un mauvais tour de passe-passe de l’Histoire a fait dévier de sa tranquille destinée. Le personnage féminin qui innerve le livre tout entier, c’est Blanche, au prénom de circonstance ; cette femme, simple et courageuse, est l’emblème de toutes celles qui ont dû prendre leur destin en main parce que l’Histoire, la grande, leur a volé leur homme, leur jeunesse et l’insouciance de leurs vingt ans. Blanche choisit la vie au milieu de ce champ de bataille, elle met au monde un enfant, puis un second, d’un autre homme, qui, lui, en est revenu, de 14.

 

01/10/2012

Premier anniversaire !


Voici un an bientôt (le 10 octobre 2011) que les éditions "Le vent se lève!" ont été créées dans un de ces jolis villages du Gers, Aubiet, où il fait bon vivre...Un défi relevé pour montrer que "l'édition est dans le pré", comme le bonheur ! Et qu'il y a une place et un avenir pour les maisons d'éditions, hors de Paris.


Cette première annnée a été riche en émotions pour la "jeune éditrice" que je suis et pour les partenaires qui ont accompagné ce projet un peu fou, comme je les aime.

La collection "Ô rages!" est lancée avec deux premiers titres qui interpellent des lecteurs avec des témoignages de résistance très différents mais dont les héros, Angèle Bettini del Rio et Guy Pavan sont si proches par les valeurs qu'ils véhiculent.

Le prochain titre devrait renforcer l'image d'engagement aux côtés de ceux qui luttent pour un monde meilleur que je veux donner à cette collection. Il est en préparation active et devrait sortir tout début 2013 : "Comment nous résistons à la"privatisation d'EDF/GDF", tel sera son titre. Il s'agira du témoignage saississant d'un "Robin des bois de l'énergie", un de ces agents qui remettent le courant à des familles en difficulté, auxquelles EDF l'a coupé pour cause d'impayés. Leur combat, c'est de faire vivre et perdurer l'esprit du service public, et ils le font à leurs risques et périls, par conviction, par solidarité aussi.

Mais 2013 sera aussi pour les éditions "Le vent se lève !" l'année du lancement d'une seconde collection, littéraire celle-ci : romans et nouvelles en seront l'épine dorsale (vous pouvez en connaitre la ligne éditoriale dans l'onglet "Collection Après la pluie" de ce blog). Avec l'appui du comité de lecture qui se met au travail, nous rechercherons, parmi les manuscrits collectés, les pépites littéraires et les auteurs inattendus qui feront la joie des lecteurs demain.

C'est donc avec la satisfaction d'avoir fait les premiers pas, d'abord hésitants puis plus affermis, la fierté d'avoir surmonté les embûches et les découragements, l'enthousiasme d'avoir créé une équipe de partenaires, encore jeune mais déjà solidelivre, que nous soufflerons le 10 octobre la première bougie d'anniversaire de "Le vent se lève !".

N'hésitez pas à nous envoyer vos commentaires, suggestions et à nous donner aussi mille idées pour continuer à illustrer les résistances d'hier et d'aujourd'hui et à faire vivre les espoirs de demain.